lundi 17 décembre 2012

Hommage à un militant




Je n'ai pas connu directement Pierre Darphin, mais je vous donne à lire l'hommage que lui a rendu Chérif Ferjani la semaine dernière. C'est tout une époque qui est ainsi évoquée. Et ma "question qui tue" sera:
qu'avons-nous laissé faire de l'héritage? Avons-nous préservé, défendu, les acquis par les luttes?

Hommage à Pierre DARPHIN
Par Chérif FERJANI

L’homme à qui nous venons dire adieu n’est pas seulement un membre de la famille Darphin à qui nous adressons nos sincères condoléances à travers celles et ceux qui la représentent dans cette cérémonie : sa sœur Mimi, son frère Jean, ses nièces et ses neveux. Notre pensée va aussi à sa sœur Marie que la maladie a empêchée d’être avec nous.
Ce n’est pas non plus seulement un curé atypique aimé et respecté par sa communauté spirituelle comme par sa hiérarchie qu’il a souvent bousculée pour lui rappeler le devoir de solidarité avec les pauvres, les malades, les marginaux, les oubliés de la croissance, les sans droits, en France, dans les pays du Sud et partout où il y a des femmes et des hommes qui souffrent.
 C’est un artiste, un philosophe, un homme chez qui la sensibilité est indissociable de la raison.
Pour moi, comme pour beaucoup d’amis ici présents ou absents, c’est surtout une figure de la gauche que j’ai eu l’honneur de connaître et de côtoyer au début des années 1970 et que j’ai retrouvé ensuite en 1980. C’est lui qui prenait la parole au nom des organisations de la gauche radicale et des syndicats qui appelaient à des manifestations de solidarité avec les travailleurs immigrés, les militants antifascistes en Espagne et au Chili, les peuples opprimés de la Palestine à l’Indochine, les ouvriers de LIP ou les paysans du Larzac, les prisonniers politiques en Tunisie et au Maroc, etc. C’était le « curé rouge » de Lyon qui avait la confiance de toute la gauche et l’extrême gauche.
Lorsque j’ai fait sa connaissance, il était curé à l’église de Saint Pierre de Vaise, et j’étais un jeune étudiant en philosophie fraîchement débarqué à Lyon et … dans un marxisme qui n’avait pas la religion en odeur de sainteté ; mais nous avions le goût de la réflexion philosophique en commun. A mes naïves provocations, il répondait avec tendresse, indulgence et beaucoup de finesse qui m’a appris à être tolérant et m’a fait découvrir les vertus de l’humilité. C’était surtout lors de la grève de la faim des travailleurs tunisiens sans papiers du Bidonville de Feyzin en 1973, que j’ai le plus milité à ses côtés au sein du « comité des dix » qui organisait le soutien à cette grève : Lui-même en tant que Curé à l’église de saint-Pierre de Vaise qui a offert, à sa demande, sa cure pour accueillir les gréviste, Madeleine Delessert qui n’a pas pu se joindre à nous pour lui rendre hommage et nous a chargés de transmettre ses condoléances à sa famille, Jean-Jacques Massard alors responsable de la CIMADE et qui nous a quittés il y a quelques années, Hmaïed Ben Ayada (alias Mohamed Croix-Rousse) et Mohamed Fétati (alias Mohamed le Noir) qui sont en Tunisie et qui m’ont chargé de vous dire combien ils partagent notre peine, Bernard Huissoud qui a été le plus présent d’entre nous auprès de Pierre ces dernières années, Jean-Louis Gass, Pierre Desbrosses et François Cordier qui sont ici présents (tout comme Margot Nesme, Marie-Hélène Bunoz, Robert Barlerin et Claudette Scémama, qui ne faisaient pas partie du comité des dix mais qui étaient à la grève de la faim et sont aujourd’hui avec nous pour saluer la mémoire de Pierre).

> Le rôle de Pierre dans la conduite et la réussite de la grève était déterminant : Outre le local qu’il avait obtenu de son église pour accueillir les grévistes, et sa participation au « comité des dix », Pierre a réussi à impliquer l’archevêque Ancel à peser de tout le poids de son autorité pour la réussite de la grève. Lorsque les journalistes ne venaient pas à nos conférences de presse, Pierre demandait et obtenait d’Ancel de les convoquer et, à chaque fois, les journalistes accouraient pour entendre ce qu’il allait leur annoncer et nous entendre par la même occasion. Il a aussi obtenu, au prix de l’une de ses mémorables colères, de faire sonner le tocsin dans douze églises pour alerter les habitants de l’agglomération sur la situation des grévistes. Je me rappelle de ses visites à Ancel, dans son modeste appartement du troisième arrondissement, tout près de la Place du Pont. Il m’amenait avec lui pour discuter avec son archevêque pour le convaincre que le devoir de solidarité avec le peuple palestinien n’était pas antinomique avec le devoir de mémoire par rapport aux crimes commis à l’égard des populations juives en Europe avant et durant la Seconde Guerre. C’est là que j’ai découvert son engagement pour les droits du peuple palestinien, engagement qui l’a habité jusqu’à la fin de ses jours.
Homme de foi, Pierre savait respecter celle des autres, qu’ils soient adeptes d’autres religions ou sans religions. Comme l’a rappelé l’un de ses jeunes frères de l’Eglise, ce n’était pas un homme soucieux du respect des rituels. Pour les humains, les faibles, les pauvres, les marginaux, les exclus, les sans droits, il lui arrivait d’oublier ses devoirs à l’égard de ses paroissiens : Toujours pendant la grève de la faim de Saint Pierre de Vaise, un dimanche, nous étions dans une réunion qui durait depuis la veille, lorsque Pierre se leva en se frappant le front et disant : « Nom de Dieu ! J’ai oublié la messe ! »
Entre autres qualités rares, Pierre avait un formidable sens de l’humour : Jamais il ne s’est senti offusqué par un propos anti religieux. Il lui arrivait d’en rire. Un jour, nous discutions de théories théologiques et le voilà me raconter un souvenir du jeune séminariste qu’il était, lors d’un cours sur les attributs et l’essence de Dieu. Le professeur leur dit que Dieu n’avait pas d’essence et notre Pierrot de dessiner sur son cahier d’écolier un camion sur lequel il écrivit : « Dieu est en panne » ! C’est ce sens de l’humour dont le monde a besoin pour faire reculer les fanatismes !
Pierre est parti mais il est et restera toujours avec nous tous : sa famille dont il est issu, sa famille spirituelle et sa famille politique.
Que son souvenir continue à rapprocher nos cœurs, à resserrer nos rangs et à éclairer le chemin des combats que nous avons menés avec lui.



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